Établissement de détention de Hull: 232 beds

Sheena Hoszko

Comme les bâches de l’œuvre Établissement de détention de Hull : 232 Beds, la prison désincarne les vies—expériences, traumatismes, oppression—et les réduit à n’être plus que des nombres et des catégories de criminels.

2020
11 Mar
13 Mar
Lieu
Galerie UQO

Présentation

Les administrateurs pénitentiaires utilisent souvent le terme «lits» pour exprimer leur capacité d’hébergement, soit le nombre d’espaces disponibles pour les détenus dans leur établissement. L’œuvre Établissement de détention de Hull : 232 Beds est une installation sculpturale composée de 232 bâches bleues, pliées et disposées sur le plancher de la Galerie UQO.

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Le bâtiment nommé aujourd’hui « Établissement de détention de Hull » a été construit dans les années 1940 par Duplessis. Avant de devenir une institution provinciale, l’édifice a abrité, de 1941 à 1942, 89 prisonniers de guerre ukrainiens et communistes. Aujourd’hui, l’Établissement de détention de Hull est une prison pour hommes condamnés à deux ans moins un jour ou en attente de procès, et le bâtiment dépasse régulièrement sa capacité d’accueil.

Même si la moitié des prisons de la province sont situées en banlieue et dans les centres urbains, une grande majorité de la population n’a pas une réelle conscience de leur existence et de leur emplacement. La raison de ce fait est relative à l’invisibilisation constante de ceux qui vivent à l’intérieur, ainsi que de ceux qui sont le plus criminalisés, et qui par conséquent, ont le plus de rapports conflictuels avec la loi : les Autochtones, les personnes Noires, les gens de couleur, les personnes queer, les personnes atteintes de problèmes de santé mentale ou vivant dans la pauvreté.

Comme les bâches de l’œuvre Établissement de détention de Hull : 232 Beds, la prison désincarne les vies—expériences, traumatismes, oppression—et les réduit à n’être plus que des nombres et des catégories de criminels. Les statistiques sur la criminalité et le système pénal ne tiennent jamais compte des raisons systémiques pour lesquelles les gens commettent des crimes et finissent à l’intérieur des murs de la prison.

L’œuvre Établissement de détention de Hull : 232 Beds et le matériel d’atelier l’accompagnant examine notre propre attitude d’interaction avec les gens qui nous entourent lorsqu’un préjudice [harm] survient. Que faisons-nous lorsque nous subissons un préjudice [harm]? Que faisons-nous lorsque nous causons un tort? Comment nous préoccupons-nous les uns des autres?

Au Québec, les premiers édifices construits pour servir comme espaces de confinement sont érigés par les missionnaires jésuites entre 1716 et 1726 dans les colonies de Ville-Marie, Québec et Trois-Rivières. Ils sont composés d’une salle d’interrogatoire, d’un logement pour le « geôlier », ainsi que de deux à quatre cachots. Plus tard, entre 1805 et 1811, des établissements officiels étiquetés comme « prisons » sont construits dans les mêmes villes. Alors que, sous le pouvoir anglais, on érige de plus en plus de prisons, et malgré une volonté de « réforme » par le travail, les prisons demeurent les endroits où le « peuple indocile » (lire : Autochtones et Noirs) est regroupé, car, essentiellement, ce groupe de personnes est formé de « serviteurs punis par leurs maîtres, d’enfants de prisonniers sans autre refuge, de vagabonds de toutes sortes. »

Selon Alter Justice, un organisme québécois à but non lucratif, le nombre de personnes détenues en 2014–2015 au Québec était de 5 178. De plus, Alter Justice déclare qu’en 2007–2008, les personnes Autochtones constituaient 4,3 pour cent de la population carcérale du Québec alors que, durant la même période, elles représentaient 1,2 pour cent de la population totale. Au niveau fédéral, les données de 2017–2018 montrent que les personnes Autochtones représentent 28 pour cent de la population des prisons; pour la même période, 38 pour cent des détenues étaient des femmes Autochtones. Ces chiffres, tirés du rapport du Bureau de l’enquêteur correctionnel, soulignent également le nombre croissant de personnes Noires incarcérées par le Service correctionnel Canada (SCC) : dans les dix dernières années, on observe une augmentation de 70 pour cent de détenus noirs.

Nombre de personnes incarcérées, 2018

Prisons fédérales : 14 129
Prisons provinciales : 24 657
Total : 38 786
Détention de l’immigration : 6 609
Institutions fédérales pour les femmes : 684
Centres jeunesse : 793
Peuples Autochtones incarcérées : 28 %
Personnes Noires incarcérées : 8.6 %

Sheena Hoszko a eu accès à la pensée antiprison et au travail en lien avec l’abolition des prisons à travers les organisations et les gens suivants, qui sont principalement des gens de couleur écrivant en anglais. Il faut souligner que seulement quelques références proposent des traductions françaises. Elle souhaite que les textes et documents traitant de l’abolition des prisons circulent plus largement dans le contexte francophone, tant à l’international qu’au Québec.

Le complexe carcéro-industriel

Selon Critical Resistance, le complexe carcéro-industriel (CCI) est un terme utilisé pour décrire la convergence des intérêts des gouvernements et de l’industrie lorsqu’ils utilisent la surveillance, le contrôle et l’emprisonnement comme autant de solutions à des problèmes économiques, sociaux et politiques. Par sa portée et son impact, le CCI soutient et préserve l’autorité de gens qui puisent leur pouvoir à même des privilèges raciaux, économiques ou autres. Ce pouvoir est acquis et maintenu de plusieurs façons à travers le CCI, notamment par l’utilisation d’images dans les médias de masse qui entretiennent les stéréotypes concernant les personnes de couleur, les pauvres, les personnes queer, les immigrant(e)s, les jeunes et d’autres communautés opprimées telles que les personnes criminelles, délinquantes ou déviantes. Les compagnies privées qui font affaire avec les prisons et les forces policières réalisent, par ce commerce, d’énormes profits, et conséquemment, elles participent également au maintien de ce pouvoir. Elles contribuent à procurer des avantages politiques aux politiciens qui « sévissent contre le crime »; elles permettent de faire augmenter l’influence des syndicats des gardiens de prison et des policiers; et elles participent à la volonté d’élimination de la dissidence sociale et politique des communautés opprimées qui demandent l’autodétermination et la réorganisation du pouvoir aux États-Unis.

Abolition

Selon Critical Resistance, l’abolition du CCI est une vision politique qui a pour but d’éliminer l’emprisonnement, le contrôle et la surveillance et de créer des alternatives durables à la sanction et à l’emprisonnement. Dans les conditions actuelles, il est difficile d’imaginer à quoi pourrait ressembler l’abolition. Il ne s’agit pas uniquement de se départir de ces édifices remplis de cages. Il s’agit également de déconstruire la société dans laquelle nous vivons, car le CCI nourrit et entretient les oppressions et les inégalités à travers les sanctions, la violence et le contrôle de millions de personnes. Comme le CCI n’est pas un système isolé, l’abolition est une stratégie plus large. Une vision abolitionniste implique que nous devons mettre sur pied dès aujourd’hui des modèles qui correspondent à un avenir dans lequel nous aimerions vivre. Il faut donc développer des stratégies pratiques afin de faire de petites avancées qui tendent vers la réalisation de nos rêves et nous portent à croire que les choses peuvent réellement être différentes. Il s’agit de vivre cette vision au quotidien. L’abolition est à la fois un outil d’organisation pratique et un but à long terme.

Artiste

Sheena Hoszko

Sheena Hoszko est une sculpteure, organisatrice anti-prison et colonisatrice d’origine polonaise vivant et travaillant à Tio’tia:ke / Mooniyang / Montréal. Sa pratique artistique examine les rapports de pouvoir et la violence des lieux géographiques, architecturaux et psychologiques et se nourrit de ses expériences familiales de l’incarcération, du domaine militaire et de la santé mentale. Ses récents projets ont été au Centre Clark et à articule (Montréal), au A Space (Toronto), à The New Gallery (Calgary), à la Blackwood Gallery (Mississauga), au Musée d’art de Joliette et à La Ferme du Buisson (Paris). Hoszko a présenté au Queens Museum dans le cadre de Open Engagement. Ses textes ont été publiés dans M.I.C.E magazine et dans Free Inside: The Life and Work of Peter Collins publié par Ad Astra Comixs.

Résidence

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exposition

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Bon à savoir

Heures d'ouverture

Mar à ven : 11 h 30 à 17 h
Sam : 13 h à 16 h

Remerciement

Commissariat

Marie-Hélène Leblanc

Détentrice d’un doctorat en études et pratiques des arts de l’Université du Québec à Montréal (2024), Marie-Hélène Leblanc est directrice et commissaire de la Galerie UQO à l’Université du Québec en Outaouais depuis 2015. Sa pratique commissariale l’a amenée à produire plus d’une trentaine de projets présentés dans diverses structures d’exposition au Québec, au Canada et en Europe. Considérant l’exposition comme médium, elle se définit comme commissaire-faiseuse d’expositions-autrice-praticienne-chercheuse. Gaspésienne, elle vit à Gatineau.

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