Présentation
Dans le cadre de l’exposition Vidéoconférence de l’artiste libanais Rabih Mroué à la Galerie UQO, et partant de l’œuvre The Pixelated Revolution, présentée sous la forme d’une installation vidéo (Part I-of the series The Fall of a Hair, 2012), cet atelier de réflexion vise à réunir des chercheurs de champs disciplinaires multiples autour des enjeux soulevés par cette exposition. L’écran, l’image, l’architecture, le journalisme, le pixel, la documentation, la mémoire et la mort seront considérés tant par la médiatisation des guerres, par la production d’images, que par la création d’œuvres et d’expositions qui portent sur la guerre. Les interventions de cet atelier de réflexion agiront tant sous forme de critique, d’analyse et d’interrogation sur le statut des images produites en temps de guerre et sur les pratiques artistiques et commissariales qui traitent de la guerre et de l’après-guerre.
Programme:
13h — Accueil
13h15 — Marie-Hélène Leblanc : Introduction — Raconter les images
Rabih Mroué apporte un éclairage sur la réaction différée de l’artiste qui situe précisément le lien entre la pratique artistique et l’après-guerre : « But even in times like these, when an immediate action becomes almost imperative, in the space of art we can perhaps, against all odds, afford to postpone our «reactions», to take time to think, to understand, rather than mindlessly rushing to make the next move ». *
Cette présentation porte sur l’œuvre The Pixelated Revolution de Rabih Mroué et sa propension à analyser la fabrication d’images en temps de guerre et la narration du discours (ou la fabrication d’un récit) dans une conférence non académique comme forme artistique. Par l’étude de cette œuvre qui s’inscrit dans la récente histoire de la médiatisation en temps réel des guerres, un dialogue se dévoile entre le présent et l’après.
* Hlavajova, M. et Winder, J. (dir.). (2012). Rabih Mroué : A BAK critical Reader in Artists’ Practice. Pays-Bas : BAK.
13h30 — Emanuel Licha : Depuis chaque balcon, derrière chaque fenêtre
En regardant les vidéos amateurs des combats en Syrie que Rabih Mroué a glanées sur Internet, tout juste avant de voir des manifestants et des snipers, on voit beaucoup d’immeubles. Des immeubles qui délimitent les tracés des rues et enchâssent la marche des manifestants, puis dictent la trajectoire des chars qui les poursuivent ; des immeubles qui protègent les civils, d’autres qui se referment sur eux comme des pièges quand ils s’effondrent sous les bombes. On voit des immeubles qui servent de promontoires, sur les toits desquels sont installées des caméras de surveillance ou perchés des snipers tirant sur la foule. Et tous ces immeubles ont des balcons et des fenêtres qu’utilise la population pour filmer la guerre et la mort en direct. Il était un temps où ce rôle — celui de filmeur de mort — était la chasse gardée des journalistes qui se servaient des hôtels où ils logeaient pour observer et documenter le conflit autour d’eux.
Aujourd’hui, le modèle de l’hôtel de guerre est disséminé à l’échelle de la ville en guerre, et sur chaque balcon et derrière chaque fenêtre de chaque immeuble il y a potentiellement quelqu’un qui filme et diffuse quasi simultanément des images des combats, des images de la mort des autres et de la sienne propre. Je me servirai de ce que j’ai appris en étudiant les hôtels de guerre montrés dans mon film Hotel Machine pour tenter d’expliquer les rôles des balcons et des fenêtres dans l’étrange entreprise des civils syriens occupés à représenter leur mort.
14h — Martin Laberge : «Ils firent du village une ruine complète » — La presse française et l’imaginaire de la Grande Guerre, 1914-1930
En septembre 1914, un célèbre reportage du journaliste Albert Londres décrit la destruction de la cathédrale de Reims. Intitulant son article L’agonie de la Basilique, Albert Londres sera un des premiers témoins des effets de la guerre moderne et industrielle. Le regard de la presse de l’époque est révélateur : il expose la construction, pendant la guerre, d’une symbolique de la violence incarnée par la destruction des villes et villages français. Les structures de ce discours prennent leurs origines dès 1914. Pourtant, elles ne disparaissent pas avec l’armistice de novembre 1918, mais s’effacent graduellement avec le processus de sortie de guerre de la société française dans les années vingt et trente. Cette communication, en analysant la représentation de cette violence symbolique dans les journaux français de l’époque, expose la vision qu’avait la population française des finalités de la guerre et de la paix à construire.
* P. Dauthuile, « Une commune libérée adoptée en Charente : Grévillers, canton de Bapaume (Pas-de-Calais », Bulletin de la Société charentaise d’études locales, vol. 2, no 9, mars 1921, p. 42.
14h30 — Simon Tremblay-Pepin : Le vrai, le brut et l’aliéné
L’installation vidéo The Pixelated Revolution de Rabih Mroué repend et travaille des vidéos tournées en contexte de révolte et en contexte de guerre. Ces vidéos en viennent parfois à être diffusées par les médias, malgré, comme le remarque l’artiste, le fait que leur facture pixélisée les différencie grandement de la qualité généralement admise à leur antenne. En proposant un code formel de production de ces vidéos, Mroué vient bouger leur caractère spontané et amateur, soit le sauf-conduit qui leur permet justement d’avoir une diffusion médiatique. Il rend ainsi visible une étrange tension : la vidéo que les médias considèrent « vraie » pour parler d’une scène de révolte ou de guerre est celle qui n’aura pas « trop » l’air « professionnelle ». Or, l’ensemble des images que les médias émettent chaque jour entreraient dans la catégorie « trop professionnelles » pour être jugées vraies dans ce contexte. Elles ne sont pas assez brutes. L’image de la révolution est bel et bien image de la révolution parce qu’elle est pixélisée. Or, ce brut n’est qu’une forme, un rendu qu’on peut obtenir en suivant un certain protocole. Non seulement le brut n’est en rien garant que les images portent le vrai, mais plus encore il vient à symboliser un étrange rapport entre image et vérité.
Cette présentation mobilisera des réflexions sur la critique des médias, en particulier sur la question du rapport à l’image et des relations publiques, pour tenter de mieux saisir l’état de la propagande et de l’aliénation aujourd’hui.
15h — Pause
15h15 — Jakub Zdebik : L’écran suaire
La mort, le pixel et le visage sont trois éléments importants du projet sur la révolution, l’oppression et la caméra cellulaire de Rabih Mroué The Pixelated Revolution. À travers des concepts tels que celle du masque de mort de Heidegger, du virtuel écranique de Buci-Glucksmann et de la visagéité de Deleuze et Guattari, nous allons théoriser les trois concepts clefs par rapport à leurs médiations à travers l’écran. Pour ce faire, nous allons comparer l’œuvre de Rabih Mroué à des artistes tels que Walid Raad (The Atlas Group) et son œuvre présentant de la documentation spéculative aussi bien qu’à Harun Farocki dont le concept de l’image opérative est articulé dans ses films traitant d’images balistiques. L’écran devient une membrane diaphane qui rend les images de souffrance floue par le fait même de le diffuser.
15h45 — Guillaume Lavallée : Du smartphone comme arme de guerre
« La vérité est la première victime de la guerre ». Centenaire, cet adage prend aujourd’hui une nouvelle acuité à l’heure, ou l’ère, des médias sociaux et des guerres civiles. Si jadis les reporters de guerre suivaient les soldats de deux différents camps, les guerres civiles contemporaines, avec la prolifération de leurs acteurs, donnent lieu à des terrains d’une dangerosité inouïe pour les populations et les reporters, pris aux carrefours de forces multiples. Au point même de compromettre l’accès au terrain pour les reporters. Et donc à l’horizon d’une vérité, ou du moins d’une certitude sensible, comme en témoigne la guerre récente en Syrie.
La violence du conflit a freiné, sinon empêché, l’accès au terrain. Ce sont rapidement les activistes et des journalistes citoyens qui ont pris le relais pour montrer l’horreur de l’intérieur. Mais comment distinguer le vrai du faux dans l’armada des images essaimées en ligne ? Comment sensibiliser les opinions publiques ? Comment rendre crédibles des images qui peuvent passer pour fausses ? Comment décrédibiliser des images truquées qui aspirent à la vérité ?
Dans sa révolution pixélisée, l’artiste libanais Rabih Mroué, qui a lui-même vécu de l’intérieur la guerre du Liban, pose la question de la quête de vérité en temps de guerre. Plus encore, il propose un manifeste aux opposants au régime de Bachar Al-Assad afin d’asseoir la légitimité et la crédibilité des images qu’ils filment avec leurs portables et qu’ils propagent en ligne. Une tentative de « panser » la vérité, première victime de la guerre. Et d’incarner l’engagement par l’art
16h15 — Michèle Thériault : Image, art, guerre — Le lieu d’exposition et l’intelligibilité
Roland Barthes termine son essai Qu’est-ce que la critique ? en affirmant : « La critique n’est pas un “hommage” à la vérité du passé, ou à la vérité de l’“autre”, elle est construction de l’intelligible de notre temps. » Que se passe-t-il quand l’art et la guerre, l’art et le conflit font irruption dans un lieu d’exposition en l’occurrence une galerie universitaire, y sont mis en présentation, montrés le temps d’une visite, d’un regard et d’une écoute plus ou moins prolongés ? Comment est constituée l’image et est-elle consommée dans ce contexte ? De quel temps s’agit-il ? Je souhaite réfléchir, d’une part, à comment l’appareil de l’œuvre artistique à l’intersection du conflit politique, voire de la guerre, produit de l’intelligibilité et quelle est la nature de cette intelligibilité et, d’autre part, comment le contexte de l’exposition, de son lieu et le statut de celui-ci y participent.
Présenté dans le cadre de
Bon à savoir
Intervenants
Conférencières et conférenciers:
Martin Laberge, professeur à l’UQO
Guillaume Lavallée, professeur à l’UQAM
Marie-Hélène Leblanc, commissaire et directrice de la Galerie UQO
Emanuel Licha, artiste et professeur à l’Université de Montréal
Simon Tremblay-Pepin, professeur à l’Université Saint-Paul
Michèle Thériault, commissaire et directrice de la Galerie Leonard & Bina Ellen
Jakub Zdebik, professeur à l’Université d’Ottawa
Modératrice:
Valérie Yobé, professeure à l’UQO