De longue date, la collaboration est une partie intégrante de la pratique artistique, mais depuis les deux dernières décennies, elle fait l’objet d’une attention plus soutenue et d’une réflexion plus introspective au sein des diverses pratiques artistiques et commissariales.
De longue date, la collaboration est une partie intégrante de la pratique artistique, mais depuis les deux dernières décennies, elle fait l’objet d’une attention plus soutenue et d’une réflexion plus introspective au sein des diverses pratiques artistiques et commissariales. À la GUQO, la collaboration est envisagée sous trois angles, qui correspondent également aux œuvres présentées à la CUAG, soit la collaboration au travail, dans la démarche des artistes et dans les modèles pédagogiques contemporains. Pour cette dernière exposition dans le cadre de ce projet collaboratif CUAG-GUQO, seront présentées les œuvres vidéo de Redmond Entwistle et d’Ahmet Öğüt accompagnées par l’œuvre sonore d’Émilie Monnet.
Ahmet Öğüt
Happy Together: Collaborators Collaborating est un projet ambitieux commandé par la Chisenhale Gallery à Londres en 2015, qui véhicule une réflexion critique sur le statut et la valeur du travail dans la production de l’art et, par extension, les implications éthiques et relationnelles du rôle de l’artiste et de son travail dans le monde.
Ahmet Öğüt a transformé la Chisenhale Gallery en studio de télévision et a organisé un débat public, mettant en vedette des personnes avec qui il a collaboré dans des projets précédents. Dix collaborateurs, dont un commissaire-priseur, un pompier, un barbier, un cascadeur et un reporteur sportif, ont été invités à occuper la scène et à partager leurs expériences de collaboration avec Öğüt alors que l’artiste était assis parmi le public. Ensuite, ce studio de télévision est devenu le dispositif de présentation du film documentant l’événement.
Le projet Happy Together: Collaborators Collaborating est à la fois un événement et une installation filmique en galerie, mais il fonctionne également comme une forme de rétrospective des projets d’Öğüt, constituée des souvenirs et des expériences de ses collaborateurs. Revisiter d’anciennes collaborations dans ce nouveau travail permet à l’artiste d’explorer le pouvoir et la nature même de la collaboration.
Émilie Monnet
Ninòswàhadòn Sibi (Je longe la rivière), 2019 est une œuvre commandée par la CUAG et la GUQO en partenariat avec DAÏMÔN et Transistor Média avec le soutien de l’Université Carleton, l’Université du Québec en Outaouais, le Conseil des arts du Canada, le Conseil des arts de l’Ontario et le Reesa Greenberg Digital Initiatives Fund.
Témoignant de sa propre relation avec les rivières de la région et du fait que la Kichi Sibi (rivière des Outaouais) était autrefois la principale route du peuple algonquin, Émilie Monnet a mis l’accent sur la nature collaborative de la construction de canoë pour cette œuvre audio commandée par la GUQO et la CUAG. Lors de ses visites avec Pinock Smith dans son studio à Kitigan Zibi, le célèbre constructeur de canoë a partagé ses connaissances sur les étapes de la fabrication d’un canoë, en réfléchissant sur la sagesse et les connaissances pratiques inhérentes au processus.
Comme l’écrivait Monnet: «À une certaine époque, les Algonquins parcouraient les cours d’eau de la région en canoë, car il était un moyen de transport pratique, léger, facile à utiliser et durable. Les Algonquins maîtrisaient l’art de fabriquer le canoë. Sa construction permet la transmission d’un respect pour l’environnement et la nature, mais aussi les valeurs du travail en commun. Cela implique une collaboration avec les saisons dans la récolte des matériaux. Cela demande aussi du temps, de la concentration et de la patience tout au long du processus. C’est une collaboration entre tous ses éléments: écorce de bouleau, cèdre et frêne, racine d’épinette et de l’eau.»
Monnet, d’origine algonquine, poursuit: «La Kichi Sibi a toujours eu une signification importante pour moi. J’ai grandi sur ses rivages. Je nageais et pagayais dedans, la maison de mes parents avait vue sur la rivière et je la traversais tous les jours pour aller à l’école. Faire cette pièce audio m’a permis de me connecter plus profondément à cette rivière et à mes ancêtres.»
Redmund Entwistle
Walk-Through se penche sur le site, le design et la philosophie des cours «Post-Studio» de Michael Asher à la California Institute of the Arts de Los Angeles (CalArts). L’œuvre propose une réflexion sur les modèles pédagogiques contemporains et leur rapport aux nouvelles formes d’échanges sociaux, politiques et économiques issues des années 1970.
Combinant des documents d’archives et des images actuelles, Walk-Through débute par une visite du campus CalArts et parcourt l’histoire de l’institution en analysant l’emplacement, la conception et la fonction du bâtiment. La visite se déplace lentement vers les étudiants rassemblés dans une salle de classe pour assister à une séance fictive d’un cours «Post-Studio» de Michael Asher. La méthode d’enseignement de ce dernier est orientée vers des discussions critiques sur le travail des étudiants et deviendra par la suite l’un des principaux modèles d’enseignement dans les écoles d’art.
Le film bascule ensuite dans un espace de science-fiction et d’allégorie. Des souvenirs racontés à la première personne, empruntés à d’anciens étudiants, sont de plus en plus interrompus par la lecture d’informations bureaucratiques qui détaillent les fondements financiers et infrastructurels de l’institution comme si les étudiants étaient devenus des porte-paroles pour sa mémoire, faisant également allusion à la critique institutionnelle d’Asher. Cette mise en scène devient un exercice d’évaluation des paramètres de la légitimité de l’institution et de la légitimité de la classe en tant qu’espace où le discours individuel devient le principal outil de la démocratie.
Par son style et une forme qui passe du didactisme à la fiction, le film exprime une partie de la complexité de l’évolution du statut du corps, de la mémoire et du langage dans les formations politiques et éducatives actuelles, en particulier à une époque où les coupes gouvernementales menacent l’éducation artistique et l’enseignement supérieur.
Au croisement entre le théâtre, la performance et les arts médiatiques, la pratique d’Émilie Monnet s’articule autour des questions d’identité, de mémoire, d’histoire et de transformation. Ses œuvres privilégient les processus de création collaboratifs, et sont présentées le plus souvent sous forme de théatre interdisciplinaire ou de spectacles immersifs. Artiste en résidence au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui de 2018 à 2021, elle y a présenté sa dernière création okinum en octobre 2018, résultat de ses plus récentes recherches autour de la dramaturgie sonore. Émilie a grandi en Outaouais et vit actuellement à Tiohtià:ke/Mooniyaang/Montréal.
Ahmet Öğüt est né à Diyarbakir, en Turquie. Il vit et travaille à Berlin et à Amsterdam. Il collabore régulièrement avec des personnes extérieures au monde de l’art afin de produire des œuvres capables de créer de légers changements dans la perception des problématiques communes et mondiales.
Les œuvres d’Öğüt ont été présentées à l’échelle internationale dans des institutions telles que Kunstverein Dresden (2018), Kunsthal Charlottenborg, Copenhagen (2017), ALT Bomonti, Istanbul (2016), Van Abbemuseum, Eindhoven (2015), Chisenhale Gallery, Londres (2015) parmi bien d’autres. Öğüt a également été invité à participer à de nombreuses expositions collectives, notamment Echigo Tsumari Art Triennale (2018); British Art Show 8 (2017-2015); 11th Gwangju Biennale (2016); 13th Biennale de Lyon (2015); 8th Shenzhen Sculpture Biennale (2014); Performa 13, New York (2013); 7th Liverpool Biennial (2012); 12th Istanbul Biennial (2011); et la 5e Biennale d’art contemporain de Berlin (2008). Il a été l’un des deux artistes choisis pour représenter la Turquie à la 53e Biennale de Venise (2009).
À travers ses films, Redmond Entwistle mène à réfléchir l’histoire récente, à ses lieux et à ses problématiques sociales par une approche documentaire radicale; de rejouer, reconstruire et reproduire des documents dans une réalité abstraite et archétypale. Ses œuvres filmiques procèdent aussi bien du documentaire que de la fiction, enquêtant sur les histoires de déplacement social et esthétique. Essayistes au sens le plus expérimental du terme, ses œuvres sont des explorations critiques de la relation entre capital culturel abstrait et site matériel historique. Walk-Through a fait l’objet d’expositions personnelles à la galerie Cubitt, à la Tramway Gallery et à l’International Project Space.
Son film précédent Monuments a été projeté pour la première fois lors du Festival International du film à Rotterdam (Tigers Shorts Competition) en 2010. Auparavant, Paterson — Lodz, un moyen métrage sur le film et l’œuvre sonore, a remporté le prix du meilleur film international au Images Festival en 2008. En 2013, plusieurs de ses œuvres ont été mises en vedette lors de l’événement Hors Pistes (Centre Pompidou) et du Festival du film indépendant de Buenos Aires et reprises dans Assembly, une programmation spéciale dédiée aux artistes du film britanniques et présentée par le Tate Britain. Son œuvre a été nominée pour le Jarman Award 2014 et ses films ont fait l’objet d’une exposition individuelle au MIT List Visual Arts Center en janvier 2015.
Détentrice d’un doctorat en études et pratiques des arts de l’Université du Québec à Montréal (2024), Marie-Hélène Leblanc est directrice et commissaire de la Galerie UQO à l’Université du Québec en Outaouais depuis 2015. Sa pratique commissariale l’a amenée à produire plus d’une trentaine de projets présentés dans diverses structures d’exposition au Québec, au Canada et en Europe. Considérant l’exposition comme médium, elle se définit comme commissaire-faiseuse d’expositions-autrice-praticienne-chercheuse. Gaspésienne, elle vit à Gatineau.
Heather Anderson est commissaire à la Carleton University Art Gallery (CUAG) et professeure de recherche adjointe en histoire de l'art