Séance de travail: les implications de la reconnaissance des territoires dans une perspective de décolonisation des espaces culturels.
Le 14 février dernier, l’espace de la Galerie UQO a servi de lieu d’échange afin d’approfondir les réflexions sur les implications de la reconnaissance des territoires dans une perspective de décolonisation des espaces culturels. Pour cette conservation, la commissaire Şükran Tipi accueillait Steven Loft, Barbara Filion et Eliane Kistabish, tout·es acteur·trices du milieu institutionnel culturel. Les intervenant·es ont échangé sur leurs postures et leurs expériences en lien avec les gestes de reconnaissance des territoires.
D’emblée, la discussion s’est engagée autour d’un constat indéniable : la muséologie repose sur des fondements colonialistes. Le musée et l’institution culturelle sont des lieux où l’histoire est racontée, mais une question essentielle se pose : qui détient le droit de raconter ces histoires ?
Steven Loft, vice-président du Département Voies autochtones et décolonisation au Musée des beaux-arts du Canada, souligne la lenteur avec laquelle les institutions culturelles intègrent des projets mettant en valeur l’art autochtone raconté par les Autochtones eux-mêmes. Un tournant majeur s’amorce dans les années 1990 avec la création d’un Département des Premières Nations au Conseil des arts du Canada. L’introduction de nouvelles subventions spécifiquement destinées aux artistes autochtones incite alors les grandes institutions culturelles non seulement à offrir des espaces d’exposition pour ces œuvres, mais aussi à intégrer des personnes Autochtones au sein de leur structure administrative. Cette présence accrue dans la bureaucratie culturelle transforme profondément la visibilité des Premières Nations dans le milieu artistique. La véritable reconnaissance passe ainsi parle partage des espaces culturels, le respect des traditions et l’engagement actif en faveur d’une société plus équitable. Il ne s’agit donc pas uniquement d’exposer l’art autochtone sur le mur d’un musée, mais également de repenser la structure des organisations culturelles. Barbara Fillion, Agente de programme culturel à la Commission canadienne pour l'UNESCO, souligne que chaque institution doit faire preuve d’un engagement réciproque pour que ces mises en place soient perpétuées par les générations futures.
Depuis quelque temps, certaines institutions culturelles ont adopté des démarches visant à reconnaître le territoire autochtone sur lequel elles sont implantées. Toutefois, lorsqu'une institution culturelle déclare qu'elle est située sur des terres autochtones non cédées, elle adopte, consciemment ou non, une posture d'autorité. Cette reconnaissance, bien que souvent présentée comme un geste de respect dans une volonté de réconciliation, place l’institution en position d’interpréter, de cadrer et de valider l’histoire des communautés concernées. Ainsi, au lieu d’un simple acte de solidarité, elle risque de reproduire des dynamiques de contrôle sur le récit et les territoires autochtones. Quelle serait donc la meilleure démarche à entreprendre ? Selon les intervenant·es, la reconnaissance ne demande pas nécessairement une prise de position, mais elle demande plutôt d’adopter une manière de vivre. Pour qu’une institution soit un «bon visiteur» sur un territoire non cédé, elle doit avant tout reconnaître ses responsabilités et ses privilèges vis-à-vis ce territoire et ses communautés. Éliane Kistabish, artiste et porteuse culturelle, conclut que c’est dans cette vision d’ouverture que la reconnaissance peut réellement s’amorcer. Rappelons-nous, le but premier d’une reconnaissance est de créer des liens entre les communautés et d’établir un canal d’échange et de respect.