Présentation
La Fonderie, bâtiment imposant de 5 390 mètres carrés datant de 1913 qui témoigne des mutations industrielles et de l’ère des manufactures, joue un rôle de premier plan dans le cadre du projet À perte de vue / Endless Landscape. De son lien historique avec l’industrie de la transformation et de la fabrication à son actuelle fonction de centre d’art contemporain, en passant par sa conversion en complexe sportif, ce lieu aux multiples fonctions reflète l’évolution économique, sociale et culturelle de la région de l’Outaouais. Construit majoritairement en verre, la chaleur durant la saison estivale y est accablante. À l’inverse des musées et des galeries, l’espace de diffusion est dépourvu de système de climatisation. Jakub Zdebik, professeur adjoint en histoire de l’art à l’Université d’Ottawa, offre une présentation qui interroge l’art et l’air, voire l’esthétique atmosphérique du lieu d’exposition. Pour sa part, l’artiste et chercheur Ryan Stec témoigne de la création de l’espace public par l’art et engage des pistes de réflexion sur la présence d’œuvres à grande échelle dans ce bâtiment postindustriel en constante transformation.
L’esthétique atmosphérique - Jakub Zdebik
L’espace d’exposition est un récipient d’art isolé et isolant. Coupées du dehors, délimitées par des murs, les œuvres d’art qui y sont exposées sont imprégnées d’une atmosphère palpable. Quel est le lien entre l’atmosphère, l’isolation et l’exposition ? Une île atmosphérique, telle qu’une serre ou une capsule spatiale, peut servir de modèle pour l’exploration de la relation entre l’art et l’air. D’après le philosophe allemand Peter Sloterdijk, la naissance du modernisme coïncide avec l’attaque au gaz à Ypres en 1915. L’atmosphère est désormais contaminée, suspecte et menaçante. De cette attaque au gaz à la quasi-asphyxie de Dali à l’intérieur d’un scaphandre, Sloterdijk traces les liens entre la menace invisible provenant de l’atmosphère jusqu’aux airs cultivés des artistes de l’avant-garde. À travers ses écrits sur l’air toxique, ses concepts de l’île atmosphérique et sa notion de formalisation esthétique de la météo, Zdebik va explorer l’espace d’exposition comme un réseau d’art relié par un air tangible.
L’art et la fabrication de l’espace public - Ryan Stec
L’espace public est une invention moderne. Né en pleine crise de la vie moderne à la fin du vingtième siècle, il a joué le rôle d’outil conceptuel dans la lutte pour le maintien des lieux que nous partageons dans la ville. L’expression espace public en est venue à désigner le monde ordinaire menacé par la planification moderne, en même temps qu’elle renvoie désormais à une liste de plus en plus longue d’espaces communs partagés qui ont été effacés, rasés, réduits en cendres, vendus, clôturés, remplacés et reconstruits. De l’avis général, l’espace public est moribond, mais malgré ce triste état des choses, les artistes ont poursuivi leurs efforts pour nous rassembler dans toutes sortes de lieux. Néanmoins, les artistes (et le meilleur de leurs productions) ne créent pas dans l’idée de nous réunir dans une sorte de zone consensuelle homogène – ce rassemblement-là représente bien plus un marché démographique ou un marché cible qu’un public. Le ralliement que permet l’ambiguïté de l’oeuvre d’art est d’un genre qui est plein de tension et de complexité, d’une nature telle que la dimension publique de l’espace y prend réellement vie. À l’évidence, un bâtiment public postindustriel en perpétuelle transformation comme la Fonderie, qui regorge d’oeuvres de formats considérables, n’est pas une tentative nostalgique de renouer avec l’idéal moderne de l’espace public. Mais par les temps difficiles et complexes qui courent, c’est peut-être exactement le genre d’espace public qu’il nous faut.
Présenté dans le cadre de
Bon à savoir
Intervenants
Jakub Zdebik est professeur adjoint en histoire de l’art au département d’arts visuels à l’Université d’Ottawa.
Ryan Stec est un artiste, éducateur, producteur et designer qui mène des activités de recherche et de production.